Nadeeya : danser entre héritage et identité, un voyage du corps et de l’âme
Danser pour raconter, pour guérir, pour exister. Entre le Cameroun et l’Italie, entre l’héritage et l’expérimentation, Nadeeya GK trace un chemin où la mémoire dialogue avec le présent. Membre du crew Paradox-Sal et artiste en quête de sens, elle explore les racines africaines de la House Dance avec une sensibilité unique. Rencontre en amont de sa dance class à la Mona Samedi 8 février, avec une messagère du mouvement, qui prépare aujourd’hui son premier solo, SAWATA, prévu pour 2025.
Peux-tu nous parler de ton premier contact avec la danse et de comment tes deux cultures, camerounaise et italienne, ont influencé ta manière de danser ?
Ma danse, c’est le reflet d’un voyage : un voyage intérieur, un voyage physique, un voyage entre mes racines et mes expériences. J’ai grandi au Cameroun, où la danse faisait partie du quotidien. Elle n’était pas un « apprentissage » au sens académique, mais quelque chose qui m’a été transmis par le ressenti et l’observation. J’ai appris en regardant ma mère, ma grand-mère et mes tantes bouger avec grâce et puissance. C’était instinctif, et je dirais sacré. Pourtant, malgré cet amour du mouvement, j’étais d’une timidité maladive. Petite, je passais mon temps à imaginer et à organiser des « ballets » (routines / chorégraphies), mais dès qu’il fallait monter sur scène, la peur me paralysait et j’annulais tout. Arrivée en Italie, ma timidité s’est transformée en malaise identitaire. J’étais souvent la seule fille noire dans mon environnement. J’essayais de me fondre dans le décor, d’adopter les codes des autres. Je n’avais pas encore compris que ma différence était une richesse. Avant de danser vraiment, j’ai trouvé refuge dans l’écriture et le graffiti. C’est par là que j’ai découvert la culture Hip-Hop, bien avant d’oser l’exprimer avec mon corps.
Ce n’est qu’avec le temps que j’ai compris que ce que j’avais fui était en réalité ma plus grande force. La danse m’a permis de reconnecter avec mon essence, de transformer ma timidité en un langage puissant. Aujourd’hui, mon mouvement est le reflet de cette dualité : il porte la mémoire des femmes qui m’ont transmis l’art du geste dans mon pays natal, le Cameroun, et la rage de me réapproprier mon identité en Italie. Ma danse oscille entre la douceur et la puissance, entre l’ancrage et la liberté. En anglais je le nomme « being gracefully raw ». Tout ce vécu jusqu'à aujourd'hui m’a conforté dans l’idée de voir la danse au-delà du mouvement. Il ne s’agit pas de seulement bouger pour moi. Mais de Raconter, de Guérir et d’Exister pleinement.
J’ai aussi envie de partager comment j’ai rencontré la house dance. Ce qui m’a fait tomber amoureuse de cette danse, c’est que j’y ai retrouvé tous les éléments qui m’étaient déjà familiers à travers l’apprentissage des danses traditionnelles, Les danses de chez moi. La House, c’est ce qui m’a appelée, ce qui a parlé à mon cœur, à mon âme. C’est pour ça qu’aujourd’hui, je suis autant attachée à cette culture, parce qu’elle me nourrit, elle m’élève, elle m’éduque.
J’ai découvert la house dance grâce à mon tout premier prof de hip-hop, STAAZEY, à la MJC de Sartrouville. Quand je suis arrivée en France, j’ai commencé la danse hip-hop au sens large, d’abord en traînant à La Défense, à la Coupole : Ceux qui savent, savent. Puis, je me suis inscrite à la MJC de ma ville, et c’est là que j’ai rencontré STAAZEY. Il nous a enseigné les bases des différentes disciplines du hip-hop : hype, lock, popping, break… et bien sûr, la house. Et c’est là que mon cœur a basculé.
Je me souviendrai toujours de ce jour où STAAZEY montait un groupe pour s’entraîner en dehors des cours réguliers. On était assis dehors, et il nous expliquait, un par un, pourquoi il nous avait choisis. Quand il est arrivé à moi, il a dit une phrase qui restera gravée dans mon âme : “Je te prends dans le groupe parce que tu es une danseuse… mais tu ne le sais pas encore.” Aujourd’hui, près de 15 ans plus tard, je le remercie, parce que je pense que cette phrase a ouvert une porte. Une porte qui m’a permis de vivre toutes ces expériences humaines et artistiques qui m’ont menée jusqu’ici.
Un jour, STAAZEY m’a dit : “Je t’ai donné tout ce que j’ai. Maintenant, si tu veux grandir, il faut que tu prennes ton envol.” Alors j’ai quitté la MJC pour aller chercher la house ailleurs. J’ai commencé à prendre des cours du soir, parce que la journée, j’étais à l’université et je travaillais l’après-midi. Le soir, j’enchaînais : Studio Bleu, Studio MRG, JD School… J’ai suivi les cours de Meech, Danshiro, Didier, Mamson, Kapela, Baba, Karlos… tous ces profs qui ont nourri mon chemin.
Mais au fond, je cherchais un lien, une corde qui résonnerait avec ma personne, mon histoire. Un espace où je pourrais me retrouver à 100%, et où je pourrais aussi contribuer, avec ce que je suis et d’où je viens. C’est pour ça que la vision de Karlos et Baba m’a parlé. Ils avaient fait le choix de mettre en lumière l’africanité de la house, autant dans la danse que dans la musique. C’est dans cette direction que j’ai trouvé un véritable écho. Karlos m’a épaulée, Baba m’a prise sous son aile. Quelques années plus tard, j’ai intégré le groupe Paradox-Sal, et mon apprentissage avec la French Touch continue encore aujourd’hui.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. En 2018, j’ai fait mon premier voyage à New York avec mon groupe Paradox-Sal, pour expérimenter la culture de la house à sa source, pour apprendre directement des pionniers. Et ça… ça a été un des plus grands déclics de ma vie de houseuse. J’ai rencontré, j’ai appris de Caleaf, Tony McGregor, EJoe, Sekou, Kim Holmes, Brooklyn Terry… Franchement, my brain, my eyes, my soul just opened to another direction.
J’ai fait toutes ces compétitions qui ont marqué mon parcours : Ladies of Hip Hop (ma première en dehors de l’Europe, que j’ai gagnée d’ailleurs), Step Your Game Up, on a dansé sur la scène du théâtre Alvin Ailey… Et aujourd'hui, je continue de tourner mondialement avec mon groupe Paradox-Sal, en solo pour des workshop et je fréquente aussi la fameuse Ecole des Sables au Sénégal (école de danses traditionnelles et contemporaine africaines) ... Tellement d'expériences qui nourrissent la femme et l’artiste que je suis aujourd’hui en renforçant mon ancrage, mes convictions et ma façon d’exprimer ce que je fais.
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L’idée de mémoire et d’héritage est essentielle pour toi, tu te définis même comme une “messagère” au travers de ta danse. Quel est ce message que tu souhaites transmettre ? Comment arrives-tu à faire le lien entre passé et présent dans tes créations ?
La mémoire et l’héritage sont au cœur de mon art, car je me vois comme un pont entre le passé et le présent, entre les ancêtres et les générations futures. En tant que messagère, mon but est de rappeler que nos mouvements portent une histoire, une essence qui dépasse le simple geste. À travers ma danse, je veux transmettre la puissance de mes racines africaines, montrer que la tradition n’est pas figée mais vivante, qu’elle se transforme tout en restant ancrée. Je puise dans les danses ancestrales pour en révéler l’écho dans les formes dite « urbaines » , clubbing et contemporaines en mettant en lumière des connexions souvent (in)soupçonnées.
Le lien entre passé et présent se tisse naturellement dans mes créations : en revisitant des gestes hérités, en les réinterprétant à travers mon corps et mon vécu, je leur donne une résonance actuelle. C’est une conversation avec les esprits d’hier et d’aujourd’hui; un voyage entre la terre et le ciel. Je veux rappeler que nous portons une histoire, même si on l’ignore parfois. Chaque geste est un témoignage, une vibration. Pour moi, danser, c’est aussi ça : honorer, transmettre et transformer.

Tu dis que tout le monde sait danser. Comment aider ceux qui pensent ne pas savoir se reconnecter à ce langage universel ?
Je ne dirais pas que tout le monde sait danser mais plutôt que tout le monde peut danser… on a ces capacités basiques qui nous le permettraient. Je vois la danse comme un langage, une langue qu’on parle. Le même processus qui englobe l’apprentissage d’une langue, se trouve aussi dans l’apprentissage d’une danse. Prendre son temps est nécessaire et s’armer de patience est primordial. Comme on apprend l’alphabet via la répétition, c’est la même chose pour la danse (ici House dance) avec les basics / les fondations. La répétition est notre amie. On laisse le corps s’habituer, on se trompe, on recommence… Et surtout, on met de la bonne musique lol ! Le plus dur, c’est souvent de sortir de sa tête et de se reconnecter à son ressenti. Pour ça, rien de mieux que d’explorer, d’oser se lancer, seul ou en groupe dans des espaces dédiés. Et si vous voulez tenter l’expérience avec moi, rendez-vous samedi 7 février soir à la Mona.
Tu fais partie du crew Paradox-sal, un collectif uniquement féminin. En quoi cette particularité influence-t-elle ta dance (si c’est la cas) ?
Oui, je fais partie du crew Paradox-Sal, un crew féminin créé et coaché par Babson Ousmane Sy depuis 2012. Je l’ai rejoint en 2015, donc ça fait déjà 10 ans que je grandis avec ces femmes incroyables.
Bien sûr, évoluer dans un groupe 100% féminin a un impact fort. Mais je dirais que ce n’est pas juste un crew de danseuses, c’est une famille d’artistes. Chacune apporte sa vision, son énergie, son histoire. On a toutes ce même langage commun qui est la House Dance et avec chacune des background différents (hype, dancehall, danses traditionnelles africaines, hip-hop, popping, contemporain…). Ce qui fait notre force et je pense à consolider notre place que ce soit dans les milieux des battles comme celui des théâtres. Nous sommes actuellement en tournée nationale et internationale avec 2 créations écrites par notre mentor/coach Babson Ousmane SY: Queen Blood (depuis 2019) et One Shot (depuis 2022).
Être entourée de ces femmes m’apprends à embrasser pleinement mon authenticité. Elles sont des modèles inspirantes dans tous les sens du terme : des artistes, des mères, des entrepreneuses… Elles m’inspirent à toujours voir grand, à croire en mes possibilités. La danse nous a réunies via le billet de Babson qui nous a choisi, et c’est la vie qui nous garde encore ensemble aujourd’hui.
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Tu prépares un spectacle solo pour septembre 2025. Peux-tu nous en dire plus sur ce projet ?
Oui, je vais entrer en résidence pour la création de « SAWATA », mon premier solo chorégraphique, qui verra le jour en automne 2025. Ce projet a commencé en 2021, dans l’après-Covid. Il puise dans mon histoire personnelle, dans ce qui me traverse depuis avoir perdu mon père et mon mentor. « SAWATA », est une pièce qui traite de la notion du rappel à travers le deuil et la célébration sous la forme d’une traversée ; un voyage entre le visible et l’invisible. C’est un hommage à la vie et également un espace d’exploration de ma propre démarche artistique. Je cherche à tisser un dialogue entre la House Dance et les danses traditionnelles panafricaines et/ou noires. Cette pièce est ma thérapie. Le projet est soutenu par le IADU (Initiatives d’Artistes en Danses Urbaines) et je suis très reconnaissante de leur accompagnement. J’ai vraiment hâte de partager ce spectacle avec le monde. Donc rdv à la rentrée 2025.

Peux-tu nous donner tes 3 morceaux de coeur pour danser ?
Ouh, question difficile ! Ça change selon les périodes, les saisons, les moods… Mais en ce moment, mes trois sons qui permettent de m'évader et me connecter à mon essence:
• “NGIXOLELE” – Busta 929 & Boohle
• “ THE MAGNIFICENT DANCE” – Thakzin
• “iMALI” – Karyendasoul, Zakes Bantwini, Nana Atta
Ces sons ont quelque chose de spécial que je ne saurais expliquer mais qui me permettent d'être plus légère et me sentir en vie.
J'aimerais préciser que ce style de house music a un nom précis : MZANSI House music qui veut dire "house music du sud/ d'Afrique du sud".
De mon histoire, j'ai cherché un espace qui résonnait avec mon âme et ce que j'avais envie de raconter et partager. Et c'est là où je suis tombée amoureuse de cette branche de la house music. Ma première découverte était il y'a plus de 10 ans grâce à Babson et Karlos (Serial Stepperz) qui depuis des décennies, ont toujours mis en lumière ce côté de la culture house, cette branche africaine. C'est ce qui a aussi nourri mon envie actuelle, mon choix actuel de mettre en lumière ce côté africain de la culture house par ma façon de danser, ma musicalité et le choix de sons que je mets pendant mes cours.
La culture house, surtout la musique house a touché le monde entier et bien évidemment aussi le continent africain dont beaucoup de Dj et producteurs créent des sonorités qui mêlent les différents éléments électroniques avec les instruments africains traditionnels, les chants et surtout ce côté très ritualiste et ancestralement spirituel.
Et en dernier lieu, je rajoute ce dernier son qui est spécial pour moi et Paradox-sal. Une dédicace à nous et notre mentor Baba.
- "WE BABA" / Culoe de Song & Busi Mhlongo